Il peut être tentant, après avoir lu de la littérature…
ReNom – de l’oeuvre littéraire aux data
L’illustration de cet article représente « Gargantua qui compisse les Parisiens » du haut de Notre-Dame (sur wikimedia commons). Ca tombe bien, cela faisait un (trop long) moment que je voulais parler d’une réalisation autour de Rabelais et qui pour une fois n’est pas issue de la capitale, mais bien de Touraine ! Il s’agit du projet ReNom,
ReNom propose une façon étonnante et ludique de parcourir des œuvres littéraires, en l’occurrence celles des auteurs emblématiques de la région : Pierre de Ronsard et François Rabelais. Le site invite à la lecture (entre autres) de Gargantua et Pantagruel en « rentrant dans l’oeuvre » selon de multiples axes; soit en feuilletant le livre de façon classique, mais aussi en sélectionnant sur une carte un lieux cité dans l’oeuvre, puis en rebondissant vers la/les pages qui citent ce lieu; ou en recherchant un personnage de, puis en accédant à tous les passages qui le citent.
Lorsqu’on feuillette le livre, les personnages et les lieux mentionnés dans le texte sont mis en surbrillance, et les lieux présentés sur une carte en regard de la page. Un clic, et on rebondit à la fiche du personnage ou du lieu en question.
Le projet est développé à Tours dans le Centre d’Etude Supérieure de la Renaissance (CESR) par l’équipe des Bibliothèques Virtuelles Humanistes (BVH), spécialisée dans l’édition électronique d’œuvres de la renaissance, en collaboration avec le Laboratoire d’Informatique de Tours pour la reconnaissance des entités nommées. On sait que Rabelais s’est beaucoup inspiré des lieux de sa terre natale près de Chinon, et qu’on peut voir des références à François 1er et Charles Quint dans les personnages de Grandgousier et Picrochole. Et ce travail d’édition scientifique pointue associé à une interface ludique permet une approche plus éclairée de l’ouvrage.
Tout cela s’articule avec une valorisation touristique autour de l’œuvre puisque la carte permet de mettre en regard des lieux du texte les offices de tourisme et les sentiers de randonnée (pour l’instant un sentier thématique sur les guerres pichrocolines).
Les fichiers bruts des œuvres, issus d’un travail d’édition considérable (il a bien fallu repérer dans les textes ces noms de lieux et de personnages !) sont mis en ligne sur le site des BVH, au format XML TEI, dans une licence creative commons; consulter par exemple l’édition de Gargantua.
Un seul regret, à mon sens : qu’il n’y ait pas plus de liens vers les données du web. Sans aller jusqu’à des liens vers Wikipedia/DBpedia qui auraient pu brouiller le message scientifique, des correspondances avec des vocabulaires d’autorité comme Rameau, data.bnf.fr ou les données de l’INSEE auraient été les bienvenues !
Alors, l’application de cette « discrétisation » de la littérature en « données », en « data », est-elle une bonne façon de valoriser les œuvres ? et que nous dit-elle sur le lien entre littérature et technique ? qu’elles ne sont pas sur le même plan, et que, on aura beau essayer, on ne réduira pas la littérature à de l’informatique, et que l’informatique ne fera pas de la bonne littérature (mais les data, ça fait causer !).
Et il faut relire Gargantua, si vous avez l’occasion dans sa version en français de la Renaissance, pour le plaisir infini d’entendre rouler dans sa gorge ses sonorités :
J’ay (respondit Gargantua) par longue et curieuse experience inventé un moyen de me torcher le cul, le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expedient que jamais feut veu. Quel? dict Grandgousier. Comme vous le raconteray (dist Gargantua) presentement. Je me torchay une foys d’un cachelet de velours de une damoiselle: et le trouvay bon: car la mollice de sa soye me causoit au fondement une volupte bien grande. Une aultre foys d’un chapron d’ycelles et feut de mesmes. Une aultre foys d’un cachecoul, une aultre foys des aureillettes de satin cramoysi. (…) Puis me torchay de Saulge, de Fenoil, de Aneth, de Marjolaine, de roses, de fueilles de Courles, de Choulx, de Bettes, de Pampre, de Guymaulves, de Verbasce (qui est escarlatte de cul) de Lactues, et de fueilles de Espinards… la suite de ce célèbre extrait sur ReNom.
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Bonjour Thomas,
C’est toujours un plaisir de lire ton blog ! Juste une petite correction orthographique sur ce billet :
« puis en accédant à tous les passages qui le cite. » –> qui le citent (sujet = les passages)
Sylvie
Merci Sylvie ! trop bien d’avoir des relectrices/teurs attentifs !
Passionnante entrée en matière rabelaisienne ! Merci Thomas pour ce beau partage ! Sidali
Bonjour,
Un article très intéressant et un blog riche et bien présenté.
Il se trouve que je travaille sur un projet qui partage une partie des objectifs du Web de données, mais qui part sur d’autres bases et propose une vision radicalement différente. Étant donné votre domaine et votre expérience, votre avis me sera d’une grande utilité.
Cordialement