Dans la première partie de cette étude sur les avantages…
ELI – European Legislation Identifier : une voie pour le web de données législatif européen
Identifier, décrire et relier les lois sur le web
ELI (European Legislation Identifier) est une initiative européenne pour identifier, décrire et relier les lois de l’Union européenne et de ses états membres. D’abord issue du forum des journaux officiels des pays membres de l’UE, l’initiative est en cours de déploiement en Europe, pour les pays qui le souhaitent. ELI utilise l’infrastructure du web et les technologies du web sémantique pour arriver à cet objectif :
- les identifiants de législation sont des URIs;
- les législations sont décrites suivant un modèle de données formalisé comme une ontologie;
- ces descriptions viennent structurer les pages web existantes en utilisant du balisage RDFa;
- les liens se font à l’échelle du web, d’un URI vers un autre.
Si les lois sont accessibles depuis longtemps aux citoyens via les portails de diffusion nationaux (Legifrance en France), ELI va permettre une véritable mise en réseau des données des lois européennes, dans des formats ouverts et permettant leur réutilisation.
Pour donner un exemple très concret :
- la directive européenne « PSI » sur l’ouverture des données publiques (celle qui a ouvert la voie à l’open data) sera identifiée par le ELI http://data.europa.eu/eli/dir/2003/98/oj
- sa transposition dans la loi française (Décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005) sera identifiée par le ELI http://legifrance.gouv.fr/eli/decret/2005/12/30/JUSC0520903D/jo, et une métadonnée indiquera que le décret français « eli:transposes » la directive européenne (l’URI eli:transposes n’est pas encore déréférençable, voir plus bas pour le lien vers le fichier d’ontologie).
Les avantages d’ELI ?
Pour les états membres c’est un mécanisme d’identifiant homogène pour les lois sur le web; Il ne serait pas surprenant d’ailleurs que ce mécanisme d’identifiant URI devienne partie intégrante des systèmes de production législatifs dès les premières étapes de production d’un texte. C’est également un élément facilitateur d’accès à la loi pour le citoyen (et le réutilisateur de données). C’est un moyen de faciliter l’échange de données entre systèmes informatiques à l’intérieur de l’état ou entre états.
Pour les institutions européennes ELI est un moyen d’automatiser l’échange de données entre institutions ou depuis les états membres vers les institutions européennes. Eur-Lex (portail de la loi européenne) contient par exemple les références des « mesures nationales d’exécution », c’est-à-dire les lois nationales qui transposent les directives européennes. On retrouve par exemple le décret français cité plus haut dans Eur-Lex. Ces informations sont transmises manuellement par les états membres, mais leur récupération pourrait être automatisée grâce à ELI.
Pour les utilisateurs finaux ce seront des URIs homogènes, « user-friendly » (voir plus bas) – si tant est qu’une URI puisse être user-friendly !! – donc une pose de lien plus facile vers la loi, dans des tweets ou des billets de blog. Ce seront aussi des applications et des services à valeur ajoutée qui seront développés à partir des données mises à disposition en ELI; on imagine bien par exemple des tables de droit comparé entre plusieurs pays générées de façon automatique, montrant comment une directive a été implémentée dans différents pays.
URI user-friendly et modèle FRBR
Les URI ELI restent lisibles pour l’humain. Il ne s’agit pas d’URIs opaques composées de lettres ou chiffres incompréhensibles, mais d’URIs :
- qui utilisent des éléments relativement homogènes dans les différents états membres; ELI n’impose pas de schema d’URI unique, mais des éléments à assembler, comme le type de document ou l’année de publication; les pays décident de leur schéma d’URI en fonction des habitudes de citation de leurs citoyens; les schémas d’URI de chaque pays seront documentés dans un registre au niveau européen;
- qui sont « hackable » c’est-à-dire qu’en étant un peu débrouillard on peut raccourcir l’URI pour obtenir une liste de résultats (http://data.europa.eu/eli/dir/2003 doit ramener les directives européennes de 2003), ou bien on peut facilement accéder à un autre texte en modificant l’URI une fois qu’on a « compris le truc »;
L’ontologie ELI, quant à elle, en bonne européenne, est le résultat de compromis, et cherche à accommoder tout autant la « common law » anglo-saxonne que notre droit civil. C’est un modèle d’échange, de publication de métadonnées, et donc relativement simple; il reprend les informations essentielles de description des textes législatifs, en mettant l’accent sur les liens entre les textes, et notamment les liens d’implémentation et de transposition des directives européennes en lois nationales.
L’ontologie se base sur deux modèles :
- FRBR pour le squelette LegalResource > LegalExpression > Format;
- et Dublin Core (dcterms) à partir duquel certaines propriétés ont été étendues, quand ça avait du sens;
Coopération européenne et web de données
<attention_lyrisme>
L’Europe est une belle chose, on l’oublie un peu. Son fonctionnement technocratique est certainement critiquable, mais l’idée est belle; c’est celle de la coopération entre des peuples différents. Et quand, lors d’une réunion de projet ELI, des luxembourgeois, anglais et français, des employés des institutions européennes allemands et hongrois, écoutent un irlandais aider la délégation maltaise à spécifier ses URIs ELIs, l’idée de la coopération européenne s’impose. Parce que tous ces gens auraient pu choisir de rester dans leur pays plutôt que d’essayer de travailler ensemble.
Le web est une belle chose, on l’oublie un peu. Son fonctionnement de plus en plus mercantile et centralisé est certainement critiquable, mais l’idée est belle; c’est celle de la liberté pour chacun de s’exprimer, c’est celle de la mise en commun et de la mise en lien des connaissances de chacun. Et quand des projets collaboratifs internationaux comme ELI choisissent tout naturellement ce socle technologique pour se concrétiser, cette idée de la mise en commun et de la mise en lien des connaissances de chacun s’impose. Parce que toutes ces données auraient pu rester cloisonnées plutôt que d’essayer de se lier ensemble.
Phil Archer au dernier semweb.pro 2014 a dit (la phrase m’était restée) « don’t let anyone tell you that the semantic web doesn’t work. Because it does.« . Des projets comme ELI sont non seulement la preuve que ça marche (mais donner encore une preuve serait entrer dans le jeu de ceux qui objectent que cela ne marche pas), mais aussi la preuve que les valeurs qui sous-tendent les technologies du web (de données) sont en adéquation avec les besoins des projets actuels.
Et le mouvement ne peut que s’amplifier : car le web est tout à la fois ce qui permet à des projets collaboratifs comme ELI de se concrétiser, mais aussi ce qui déclenche de nouvelles collaborations, puisque c’est par l’ouverture (des opinions, des documents, des données) que naît la confiance, la compréhension, et la coopération.
</attention_lyrisme>
Références ELI
- Conclusions du Conseil préconisant l’introduction d’un identifiant européen de la législation (ELI) (dont la description du modèle de données est périmée)
- Ontologie ELI publiée sur le site de l’Office des Publications
- Site présentant ELI, maintenu par la France : eli.fr
- Page wikipedia ELI en français
- Applications :
- En France, un exemple sur Legifrance de loi affichant un ELI (basé sur le NOR) et son alias
- Au Luxembourg : le prototype eli.legilux.lu
- ELI sera intégré à Eur-Lex pour les lois européennes
(illustration de l’article : Justitia (Maarten van Heemskerck, 1556) disponible sur wikimedia commons ici)