Données Ouvertes et Entreprises Privées

Données Ouvertes et Entreprises Privées

Préambule : de la différence entre « public » et « ouvert »

Il y a une différence entre les informations/données publiques et les informations/données ouvertes. La différence, dans cette notion d’ouverture, est avant tout une question de conditions de réutilisation des informations/données. Conditions de réutilisation juridiques et techniques. Toute donnée publique n’est pas de l’Open Data (voir les présentations de Calimaq sur ce sujet), des tas d’informations sont déjà publiques sans être ouvertes : comptes-rendus de conseils municipaux, journaux officiels, etc. Par ailleurs, une fois ouverte, une information l’est pour n’importe qui, n’importe quand, et pour faire n’importe quoi :

  • pour n’importe qui : si l’information/donnée n’intéresse pas le cercle de ses destinataires premiers, il est possible que quelqu’un, quelque part, en ait une utilité;
  • n’importe quand : une fois publiée, une information/donnée va rester accessible. A moins qu’elle ne soit supprimée ? non, trop tard, elle aura déjà été copiée de ci de là, téléchargée par vos copains, indexée par Google, archivée dans les archives du web;
  • pour faire n’importe quoi : si l’information/donnée n’a pas de sens toute seule, elle peut faire sens si elle est mise en contexte avec d’autres informations/données. Tableaux, cartes, hiérarchies de classement, les données ne prennent sens que mise dans un contexte, avec d’autres.

1ère partie : de la misère humaine en milieu publicitaire [1. « De la misère humaine en milieu publicitaire » est livre du Groupe Marcuse dénonçant les méfaits de la publicité.]

Les institutions politiques et les gouvernements n’ont plus les moyens suffisants d’influer sur l’avenir. Qui croit encore que la conquête de pouvoir est un passage obligé vers les lendemains qui chantent [2. l’originalité des mouvements contestataires récents – Zapatistes, Indignés, Anonymous, Décroissants, etc. – est justement que la conquête du pouvoir est absente de leurs objectifs.] ? Le prétendument libre marché a plus d’influence sur nos vies que les politiques publiques. La sphère économique influence notre façon de consommer, de travailler (ou de chômer), de nous détendre : tout devient prétexte à marchandisation. Elle le fait en particulier en redirigeant nos pulsions, qui sont traditionnellement « canalisées » à travers des structures sociales complexes – mariage, sport, mathématiques, dessin, etc. – et forment ainsi la base d’un « vivre-ensemble », vers des objets de consommation [3. C’est la philia de Bernard Stiegler]. Cette manipulation du désir est orchestrée par les plans marketing et publicitaires s’appuyant sur les médias de masse.

Le monde des entreprises et en particulier de celles dirigées par des gestionnaires qui ne viennent pas du « métier » mais des écoles de gestion est à l’opposé de l’idéal de démocratie vanté par les sociétés occidentales [4. ce qui n’est pas incompatible avec l’approche du travail psychologique/psychiatrique de Christophe Dejours, dans laquelle le travail est pour l’individu le lieu d’apprentissage de la délibération, de la solidarité, des interactions avec les autres pour trouver la meilleure solution, bref le lieu d’apprentissage des processus démocratiques. Autant d’apprentissages cassés par les méthodes de management gestionnaires.]. Les salariés ne sont pas associés aux décisions et sont des variables d’ajustement de stratégies économiques qu’ils n’ont pas choisies [5. ce que prennent à contre-pied les formes coopératives d’organisation du travail comme les SCOP]. Les quelques organisations (syndicats) ou mécanismes de régulation (droit du travail) sont soit dépassés, soit mis en danger. Les entreprises ne recherchent pas notre mieux-être collectif; elles recherchent leurs profits. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de réclamer plus de transparence sur les données des entreprises, notamment à des fins de régulation.

2ème partie : du constat de la quasi-absence de données ouvertes concernant les entreprises

L’ Open Data ou ouverture des données est « une philosophie visant à rendre certaines données accessibles à tous et s’affranchir des restrictions imposées par les licences payantes (…) qui en limitent notamment l’exploitation et la reproduction ». Ce mouvement concerne certaines données publiques des administrations centrales ou locales (le portail data.gouv.fr en France), mais pas les données du privé. Les registres publics en France relatifs aux entreprises ont des modes d’accès variés; la base Sirene est payante, la base infogreffe permet une recherche gratuite mais un accès payant aux fiches détaillées, les bases de l’INPI sont d’accès gratuits – même si on nous suggère de ne pas nous y fier et de commander une recherche payante; et si l’accès est gratuit, les données ne sont pas ouvertes et il est interdit de réutiliser le contenu de la base.

Quid des données concernant les entreprises sur le reste du « web de données » ? Hé bien dans DBPedia francophone c’est la joyeuse anarchie propre aux projets communautaires, donc il ne faut s’attendre ni à la complétude ni à l’exactitude ni à l’objectivité des données – même si cela permet de récupérer quelques petites choses amusantes comme des slogans. Quant au « Google Knowledge Graph« , comme on le fait remarquer ici, il ignore de façon spectaculaire les entreprises : quelques données sur Carlos Goshn, mais rien sur Renault, quelques infos sur Xavier Niel mais rien sur Iliad, etc.

Début 2011 a été lancé opencorporates.com [6. Voir la press-release de l’annonce de lancement], une initiative d’une société britannique visant à rendre accessibles de façon ouverte de nombreuses données sur les entreprises, notamment les montants des contrats publics qu’elles ont remportés, ou le nom de leurs administrateurs. Si l’initiative semble répondre à mon désir de données ouvertes (avec toute la couche technique qui va bien : API, identifiants, liens, etc.), elle se heurte aux contraintes légales et ne propose aucune données sur les entreprises françaises. Rien. (Voir cet article du Monde.fr).

Pourquoi une telle difficulté à accéder à des données ouvertes sur les entreprises ? Si le constat fait précédemment de la prééminence de ces organisations privées sur nos vies est fondé (n’importe quel reportage à propos d’un n-ième plan social ou d’un n-ième scandale sanitaire servirait d’illustration), alors nous avons le droit à une information ouverte sur le fonctionnement des entreprises. Une information ouverte : accessible et réutilisable par n’importe qui, n’importe quand, pour faire ce que bon nous semble.

3ème partie : de ce que les données ouvertes sur les entreprises pourraient changer.

Il faut travailler, des points de vue légal, militant et technique, à l’obtention, la constitution ou l’ouverture de données ouvertes simples et fiables, pour toutes les sociétés privées qui structurent notre quotidien plus que ne le fait l’action publique, concernant :

  • les chiffres : chiffre d’affaires, bénéfice, montant des contrats publics, etc.
  • l’actionnariat et les dirigeants : qui dirige, qui contrôle, le salaire des dirigeants ou le montant des jetons de présence au conseil d’administration, etc.
  • les produits : marques et les filiales, les sites de production, fournisseurs et clients, etc.
  • le social : nombre de salariés, salaires, politique sociale, etc.

Il me semble que c’est sur ce type d’information que l’Open Data peut avoir un apport réellement disruptif, pas sur des données qui étaient de toutes façons déjà publiques. De la même façon que la logique de l’Open Data dit qu’en tant que citoyen « ce sont nos impôts qui financent l’action publique, donc nous avons le droit aux données résultant de cette action », en tant que consommateurs nous pourrions dire « c’est notre consommation qui finance votre entreprise, donc nous avons le droit aux données résultant du fonctionnement de votre entreprise ». Par ailleurs, la « concurrence libre et non-faussée » de la constitution européenne dans la lignée des dogmes libéraux ne peut se réaliser que dans un contexte d’égal accès à l’information pour tous, et l’ouverture des données privées va dans ce sens.

L’accès à ces informations éviterait entre autres les scandales équino-bovins ou l’opacité patissière. Elle permettrait :

  • d’améliorer l’information du consommateur sur les produits ou service qu’il achète;
  • de réguler le fonctionnement des entreprises; comme l’espère opencorporates.com de « donner aux citoyens, ONG, médias et aux autres entreprises le moyen de comprendre, contrôler et réguler les entreprises »;
  • de servir de base aux processus démocratiques au sein même des entreprises;

Quelles pistes concrètes ?


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