C'est vrai que quand on commence à entendre parler du…
Penser, modéliser (pour le web de données) (1/2)
J’ai récemment eu le plaisir de collaborer avec la société Anaphore à la mise au point d’un modèle d’ontologie pour décrire des fonds d’archives. S’il ne m’appartient pas de dévoiler le contenu de ce modèle qui sera je l’espère rendu public dans quelques semaines, je voulais donner quelques retours d’expérience sur le processus de modélisation lui-même, ainsi que sur quelques motifs de conception que nous avons mis en oeuvre (dans un second article).
Pour quoi modélise-t-on ?
La question n’est pas aussi simple qu’il n’y parait, et il y a tout à gagner à mettre à plat dès le début du travail de modélisation la distinction entre :
- un modèle/format de travail;
- un modèle/format d’échange;
- et un modèle conceptuel;
Est-ce que l’on cherche à définir un modèle de travail qui sera utilisé à l’intérieur d’un système logiciel (le schéma des tables de sa base de données, pour faire simple) ? ou bien est-ce qu’on cherche à définir un modèle d’échange qui sera fait pour publier les données à l’extérieur du système logiciel, sur le web de données ? La distinction est empruntée à Bruno Bachimont (dans Ingénierie des connaissances et des contenus : le numérique entre ontologies et documents (Lavoisier, 2007)) :
« Les formats d’échange permettent de rendre lisibles par différentes applications les mêmes données. Les formats de travail permettent à une application d’effectuer tous les traitements nécessaires et de créer les structures à cet effet. »
Ou bien encore, et c’est un peu différent, est-ce que l’on cherche à esquisser un modèle conceptuel du domaine, c’est-à-dire se mettre d’accord sur les principales entités de ce domaine et les relations qu’elles entretiennent entre elles, sans rentrer dans les détails d’implémentation ? FRBR par exemple est un modèle conceptuel, et RDA est une implémentation de FRBR en tant que modèle d’échange; et rien n’implique qu’un logiciel compatible avec ce format d’échange l’utilise effectivement en tant que format de travail; il y a même toutes les chances que non.
La distinction entre ces 3 objectifs est importante car chacun va apporter ses contraintes : par exemple, faire le modèle de travail d’une application implique de prendre en compte des contraintes de facilité de saisie ou de navigation dans les données pour l’utilisateur, ou de traçabilité des informations (quel utilisateur a créé quoi). Faire un modèle de publication pour le web de données amène des contraintes de facilité de compréhension, et de réutilisation du modèle. Faire un modèle de domaine ne demande pas de rentrer dans le détail de chaque propriété et de chaque relation, mais d’être tout à fait clair sur la définition de chaque entité.
Retour d’expérience numéro 1 : déterminer précisément l’objectif du modèle : modèle interne à une application, modèle de publication, ou modèle conceptuel.
« Be real »
Les modèles, les ontologies et tous ces bazars conceptuels ont ce côté rassurant des arrières-mondes que l’on fabrique pour s’échapper du douloureux réel. Tant que l’on reste dans le modèle, tout va bien, mais quand on commence à regarder les données, les vraies données qui existent réellement pour de vrai, ça fait toujours un peu mal : on a oublié de prendre en compte telle colonne dans le fichier de données, telle autre contient du texte alors qu’on avait prévu une référence contrôlée, etc. Pour paraphraser la boutade philosophico-geek « le réel, c’est ce qui fait mal quand on éteint l’ordinateur », on pourrait dire « les données, c’est ce qui fait mal quand on a fini le modèle ». « Reality is broken », par essence.
Non content de faire un modèle avec des boîtes et des flèches, il faut travailler le plus tôt possible dans le processus de modélisation sur les vraies données. Les exemples de données existantes exprimées suivant le modèle conçu doivent faire partie des livrables, autant que le modèle lui-même.
Retour d’expérience numéro 2 : travailler sur des exemples de vraies données, en les exprimant dans le modèle cible.
Modéliser c’est communiquer
Tous les modèles sont imparfaits, on a beau le savoir il faut se le redire sans cesse pour ne pas oublier la réalité que ce modèle tente de capturer. Ce n’est pas la réalité qui est cassée (« reality is broken »), ce sont nos modèles. Ou plutôt, la réalité est cassée parce qu’on en fait des modèles.
Tous les modèles sont imparfaits, car, malgré toutes les précautions que vous aurez prises pour faire émerger une objectivité, celle-ci ne restera finalement que votre vision du monde, la vôtre personnellement, ou celle du groupe de gens qui ont participé à sa mise au point. Eternelle subjectivité. Et c’est précisément parce que votre modèle est subjectif qu’il faut être capable de l’expliciter, de l’expliquer, de le communiquer aux autres. Le modèle doit servir de moyen, de support à la communication de votre vision du domaine métier. Il doit permettre d’instaurer un dialogue. Eternelle inter-subjectivité. Dès lors, il faut s’appliquer à rendre le modèle communicable :
- 99% des modèles OWL que l’on trouve sur le web utilisent des URIs et des libellés en anglais. Mais pourquoi ne pas faire un modèle en français, si on le voit comme un support de communication à destination d’acteurs francophones ? c’est le parti que nous avons pris avec Anaphore. Pensons local avant de penser universel, il sera toujours temps, le jour où le modèle aura un succès international, de le traduire ;
- un fichier d’ontologie OWL ne suffit pas; c’est incompréhensible. Faites des diagrammes, des schémas, dès le début du processus de modélisation, pour vous mettre d’accord et pouvoir parler du modèle. La communication autour du modèle commence dès sa conception ;
- c’est une évidence, mais documentez les classes et les propriétés du modèle, et le modèle lui-même, en suivant les pratiques de bon sens documentées dans le LOV ;
- utilisez les outils de génération automatique de documentation à partir du fichier OWL, comme LODE ou Parrot. Nous avons utilisé LODE pour son rendu propre et la possibilité d’intégrer les images des diagrammes dans la documentation ;
- prévoyez un moyen de recevoir du feedback une fois votre modèle publié; a minima une adresse e-mail, ou une mailing-list, un forum, un formulaire de suggestion, un hashtag, ce que vous voulez, mais permettez qu’un dialogue s’instaure.
Retour d’expérience numéro 3 : penser dès le départ le modèle comme un moyen de communication, autant qu’un moyen de structurer les informations dans un système informatique.
Un arbre plutôt que du marbre
Si vous vous placez dans la perspective de publier un modèle OWL sur le web, il faut envisager cela à la fois, bien sûr, comme l’aboutissement d’un travail de réflexion, mais aussi comme le début d’un processus d’évolution. Ne pensez pas que votre modèle va être figé une fois publié. Si, comme évoqué précédemment, vous avez tenu compte de la réalité des données, et que vous avez prévu les moyens de dialogue et de feedback, alors votre modèle évoluera en tenant compte des évolutions dans l’expression des données et des retours de la communauté. Soyez donc prêt à prendre en compte ces retours, en prévoyant pourquoi pas un mécanisme de versioning, et en établissant clairement le processus de mise à jour; sans faire l’erreur de FOAF qui a incorporé un numéro de version dans son URI, en étant maintenant incapable de la changer sans embêter tous ses utilisateurs !
« …the technical namespace ID [of FOAF] remains fixed and includes the original value of « 0.1 ». It long ago became impractical to update the namespace URI without causing huge disruption to both producers and consumers of FOAF data. We are left with the digits « 0.1 » in our URI. This stands as a warning to all those who might embed metadata in their vocabulary identifiers. »
Bref, pensez à votre modèle comme quelque chose de vivant, un arbre plutôt que quelque chose de figé dans le marbre. Une certaine automatisation dans son processus de publication sur le web peut donc être bienvenue.
Evidemment, si votre modèle est un modèle de travail interne pour une solution logicielle, son évolution est moins aisée, la problématique est différente.
Retour d’expérience numéro 4 : penser à l’évolution du modèle une fois sa mise en ligne, ne pas hésiter à le faire évoluer.
Le second volet de ces quelques réflexions, dont le titre « Penser, modéliser » s’inspire du livre « Penser, classer » de Georges Perec, sera consacré aux motifs de conception (design pattern) utilisés pour construire ce modèle de description des fonds d’archives.
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